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la chair & le caillou
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la chair & le caillou
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7 mars 2007

Révélation - Enthüllung

 

Enth_llung_der_Vernichtungslager

 

 

« Dimanche 27 mai 1945  […]

 

Depuis hier le courant est revenu. Fini le temps des bougies, des coups frappés à la porte, fini le silence. À la radio on reçoit des émissions de la Berliner Sender. Qui apporte essentiellement des nouvelles, des révélations, odeur de sang, cadavres, horreur. Dans de grands camps à l’est on aurait brûlé des millions de gens, principalement des Juifs. Avec leur cendre, ils auraient fabriqué de l’engrais chimique. Et la meilleure, c’est que tout aurait été scrupuleusement consigné dans d’épais registres, une comptabilité de la mort. C’est que nous sommes un peuple ordonné. Tard dans la soirée est venu Beethoven, et avec lui les larmes. J’ai éteint. Insupportable, désormais. »

 

Anonyme, Une femme à Berlin (Gallimard, 2006 − ici traduction maison, mais si un lecteur a celle de Françoise Wuilmart et qu’elle passe mieux…)

 

 

 

Une citation inévitable, presque trop belle dans un journal gratté dans les ruines sur un petit cahier. Sans ça un cliché, et que dans ces conditions je lis comme un miracle, dans l’incrédulité.

Une femme à l’arrière n’a rien su. Qui le notant par devers elle se tient là pour nous en témoigner. L’émouvant, c’est qu’à l’évidence cet individu grattant sur son cahier s’adresse à nous, « la postérité », la conscience universelle, et chacun devant soi. C’est qu’avec elle on vient de l’apprendre.


   

 

 

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Commentaires
A
Et pour ta question, très peu ont réussi à écrire régulièrement pour des raisons peu ragoûtantes : le papier était rare et les dysenteries fréquentes... La plupart des récits sont donc postérieurs à leur déportation.<br /> <br /> De toute façon, je doute que beaucoup aient été dans des états physiques et psychologiques propres à s'astreindre à l'écriture...
A
Pour cette femme en particulier, je ne sais pas. A lire ta traduction (j'ai oublié l'intégralité de mon allemand), je pense comme toi qu'elle découvre mais pas qu'elle nie.<br /> <br /> Mais dans les faits, beaucoup de gens ont "refusé" d'y croire parce que c'était trop douloureux, déjà, et trop de remises en questions, aussi, sans doute.<br /> <br /> Je ne sais plus si c'est Elie Wiesel, Jorge Semprun ou Primo Lévi qui en a parlé très bien, ma mémoire penche pour Elie Wiesel.<br /> <br /> Imagine, un survivant, un miraculé, quasiment, revient. Mettons qu'il aille au Lutétia après avoir traversé (en option) la moitié de l'Europe à pieds ou en transports longs et indirects, fonction de là où il était et de qui l'a libéré.<br /> <br /> Là, il retrouve ou pas sa famille. Très souvent, pas. On lui demande de raconter son histoire.<br /> <br /> Et dans un beau mouvement de déni général, on lui dit que c'est incroyable, littéralement. Pourtant, le survivant, il porte encore physiquement la trace de ce qu'il a vécu, mais on refuse de le croire.<br /> <br /> De quoi se demander un peu pourquoi on a survécu, dans certains cas. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle Primo Lévi (entre autres, mais loin d'être le seul) a fait tout ce travail dans les écoles. Parce qu'avant d'arriver au "plus jamais ça", il fallait faire entrer dans les têtes ce qu'avait été le "ça".<br /> <br /> On pourrait y passer quelques soirées, sur le sujet, n'est-ce pas ?
J
@ Anne<br /> Tiens, je n'avais pas pensé avant de te lire que l'auteure du journal pouvait douter fortement de la réalité de l'information, ni la nier. J'avais même le sentiment qu'elle y croyait (elle est du genre admirablement lucide et déjà bien désillusionnée). Dans ce qu'elle écrit ce 27 mai on ne sait pas trop, elle utilise le conditionnel des informations non vérifiées entendues à la radio des vainqueurs. Mais au fond ce "la meilleure, c'est que" a quelque chose d'incrédule. Peut-être y aura-t-il quelque indice dans les dernières pages qu'il me reste à lire.<br /> <br /> Ce qui fait la valeur littéraire, émotive particulière de ce témoignage-là à mes yeux, c'est qu'il soit écrit sur le coup sans visée de publication, de témoignage immédiate (quelqu'un a-t-il réussi à tenir un journal dans les camps?)<br /> <br /> @Raphaëlle<br /> On se figure assez bien pourquoi les autorités nazies se sont gardées de faire circuler ce genre de nouvelles. Mais c'est une des premières informations officielles que donnent les vainqueurs, d'après ce journal, la première entendue à la radio. <br /> C'est vrai qu'on pourrait parler davantage du Darfour et moins, par exemple, de la nationalité de "notre Johnny national" (comme disent les c..s).
R
Brrr ... Oui, tout à fait, merci pour ce texte!<br /> <br /> Mais pourquoi les informations circulent en raison inverse de leur intérêt / importance?
A
J'ai fait un mémoire sur les récits de déportations, et dans l'immense corpus qui allait autour, j'ai parfois été aussi bouleversée par des récits de "révélation" comme tu le cites et traduit ici que par des récits eux-même...<br /> <br /> Révélations qui, hélas, ouvraient la porte de l'incompréhension à laquelle ont dû faire face les survivants. C'était tellement impossible à comprendre, à ressentir, sans exploser d'horreur, que le déni, énorme, était aussi violent, dans une autre mesure, que les négations modernes...<br /> <br /> Merci pour ce texte, en tout cas.
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