douceur, ténu
« La forme recherchée est une forme brève, ou, si l’on préfère, une forme douce : ni la solennité de la maxime, ni l’âpreté de l’épigramme ; quelque chose qui, du moins tendanciellement, voudrait rappeler le haïku japonais, l’épiphanie joycienne, le fragment de journal intime : une forme délibérément mineure – en rappelant, avec Borges, que le mineur n’est pas au rabais mais un genre comme un autre. Sans doute suis-je moi-même décontenancé, quand ma chronique paraît, de voir ma petite prose, ma petite syntaxe (soignée), bref, ma petite forme, écrasée et comme annulée par le survoltage des écritures qui nous entourent. Mais, après tout, il y a un combat pour la douceur : à partir du moment où la douceur est décidée, ne devient-elle pas une force ? J’écris ténu par morale.
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Dessin Katuragawa Jun
Je sais que mon langage est petit (« Les limites de mon langage, disait Wittgenstein, signifient les limites de mon propre monde ») mais cette petitesse est peut-être utile ; car c’est à partir d’elle que je sens, à mon tour, parfois, les limites de l’autre monde, du monde des autres, du « grand » monde, et c’est pour dire cette gêne, peut-être cette souffrance, que j’écris : ne devons-nous pas aujourd’hui faire entendre le plus grand nombre de « petits mondes » ? Attaquer le « grand monde » (grégaire) par la division inlassable des particularités ? »
Roland Barthes, « Chronique » pour le Nouvel Observateur, Œuvres Complètes V (Seuil, 1979-2002, pp. 652-653).
Dessin Eugène Giraud (Bibliothèque nationale de France)
« Dussions-nous y périr (et nous y périrons, n'importe), il faut
par tous les moyens possibles faire barre au flot de merde qui nous
envahit ».
Gustave Flaubert, Correspondance, 1854.